dimanche, mai 17, 2009

Chaussures...

« Nous nous sommes aimés, âmes et corps. Il est l’aboutissement d’une nuit d’amour et nous en eûmes tant. Tant d’amour que je veux faire fondre cette nuit de lumière blanche comme toutes les autres de mes cris de plaisir. Tant de plaisirs que je veux lui procurer celui d’une naissance dans la reconnaissance.
Serais-tu prêt à rendre public ce qui fut notre doux secret ? Voudrais-tu lui donner ton nom ?
Je regrette de te l’annoncer ainsi, mais notre enfant git en moi avec la peur de me quitter sans te retrouver. Je ferais en sorte de le lui épargner et de partager son sort…quel qu’il soit !
J’ai rendez-vous chez le gynéco pour avorter à 18h. Viens m’en empêcher.»

Elle glissa ce billet dans la poche de sa veste, mis ses chaussures du jour pas loin du lit, déposa un tendre baiser sur ses lèvres entrouvertes et partit, aérienne, trainant sa lourde valise.

Elle avait longuement admiré ses chaussures avant de s’en aller. Elle les aime ces chaussures visiblement, toutes, plus que tout autre objet lui appartenant, plus que toutes leurs photos ensembles. Ses chaussures lui rappellent les longues ballades en bord de mer, les courses improvisées pour atteindre un point fictif, ses pas appuyés, rassurants, quand il rentrait la rejoindre tout les soirs.

Elle s’en alla sans se retourner, franchit le pas de la maison avec sur les lèvres une prière secrète. Pourvu qu’il continuât à la rejoindre, toujours, mais surtout ce soir.

Elle ne savait trop quoi faire de sa journée. Son rendez-vous avec le gynéco lui parut être le commencement d’une autre vie qu’elle voudrait ajourner à jamais. Elle se décidât à vivre jusqu’au bout celle qu’elle tenait encore en main.

Dans sa rue encore déserte à cette heure de la journée, elle flânait sans savoir ou aller. Un tronc d’arbre se frotta inopinément à son bras droit et l’enlaça. Un vent léger vint ensuite déposer un baiser divin sur son cou nu, et quelques feuilles mortes, qu’elle piétina involontairement, commencèrent à gémir.

Ses pas la guidèrent vers le parc. Assise sur un banc bariolé de graffitis que les jeunes du quartier s’amusaient souvent à ébaucher ici et là, elle se complut à décrypter les messages d’amour codés, les invectives contre les autorités, les slogans de révoltés, un tas de lettres indéchiffrables…Comme ses souvenirs confus, comme ce rendez-vous incertain.

Ses pensées la torturèrent interminablement, la malmenèrent sans pitié aucune, et la menèrent sur des sentiers tantôt effrayants, tantôt emplis de joies éphémères. Elle craignait le pire et ne pouvait s’empêcher d’escompter le meilleur…lui au rendez-vous.

Le soleil commençait à décliner vers l’horizon qu’elle se rendit enfin compte du temps, de l’espace, d’elle, une présumée coupable attendant la sentence.

Il l’avait longtemps tenu loin de sa vie public, loin de sa famille et de ses amis. Lui l’illustre écrivain vivant avec une fille de joie, quel opprobre !
Jamais il ne voudrait reconnaitre leur enfant, jamais il n’oserait crier à la face du monde leur tendre vérité. Il a tant d’égards pour son métier et sa vocation qu’il ne prendrait le risque de paraitre dans une presse à scandale. Tant de réputation à protéger comme autant de vie privée à préserver.

Elle jeta un dernier coup d’œil sur quelques lettres restées insondables et se décidât à cheminer vers son destin.

Elle dut attendre une bonne demi-heure devant le cabinet du gynécologue. Perdue entre ses craintes et ses fantasmes, toisant les visages derrière le voile subtile de ses larmes.

18h !

Embouteillage !

18h15…

Il ne viendra pas.

Ses pas devenus subitement légers guidèrent sa volonté vers la dernière escale. Elle ne vivrait pas sans son enfant, et celui là jamais sans son père.

Un bruit strident retentit. Accident ! Comme toujours, des accidents, involontaires, capricieux coups du destin.

A quelques mètres de là ou elle se tenait raide depuis quelques longues minutes, un corps gisait étendu sur une chaussée se remplissant déjà de curieux passants.

Elle ne pouvait déceler de ce corps, définitivement inanimé, que le bout des chaussures, ses chaussures.

Il tenait dans ses mains une lettre.

Son cœur chavira et c’est là qu’elle reçut le premier coup de pieds de son enfant.

Atelier 'Ecrivons donc!'
26 Dec 2008

5 comments:

too banal a dit…

Une nouvelle bien dramatique. Avec le mobile latent ou inconscient de se débarrasser d'une manière ou d'une autre du mec comme du futur bébé...
J'aime bien cette chute!

Farid a dit…

WOW, enchantante nouvelle HOUDAC, je vous en félicite.
mais j'ai pas trop aimé la chute, je croyais que ça allait être la femm qui va avoir l'accident, comme ça elle se débarrassera de son bébé sans avoir trop de remords, mais tu as préféré tuer le pauvre mec.

kalimate a dit…

ah les hommes! quel pauvre mec? "il" c'est son propre corps, ses "chaussures", c'est elle qui est passée, doublement victime et vous trouvez le temps de dire "le pauvre mec"!!!

kalimate a dit…

sans lui, il n'y aurait plus de bébé...

Houdac a dit…

Too banal, si elle persiste dans l'idée que l'un ne peut exister sans l'autre, c'est clair que c'est un véritable mobile...sinon, c'est pas si dramatique que ça je trouve :)

Farid, merci de me vouvoyer (ça m'arrive une fois l'an quand je passe un entretien) :) Sinon,je suis bien curieuse de comprendre pourquoi tu crois la femme ayant un accident plus...hmm..probable? Parce que ça éradique tout le problème? (macho vas! :))

Kalimate, heureusement que tu es là pour répondre à Farid. Merci encore pour ta visite, ça me fait toujours autant plaisir.

 
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