samedi, octobre 31, 2009

Morbidus Institut

Une silhouette longiligne, frêle, presque cadavérique, se mouvant telle une feuille desséchée dansant au vent, s’approche du pupitre. Ses lèvres bleues, s’entrouvrant pour laisser s’échapper quelques baragouinages inaudibles, dévoilent une dentition ravagée par des caries et autres dégâts irréversibles, dus probablement à des excès de jeunesse dans les rixes d’un quelconque quartier malfamé. Tout ce qu’il faut pour provoquer cette fatale première – mauvaise- impression

D’ailleurs, sa seule apparition suffit à susciter quelques rires incongrus. Des chuchotements étouffés se font entendre ici et là, alors que les plus convenus de l’assistance font un effort monstre pour rester de marbre.

Quand il commença son discours avec des excuses confuses après sa presque chute devant le pupitre, les plus assidus affichaient des yeux exorbités, ravalant leurs fous rires.

Son baragouinage se perpétua encore quelques secondes avant qu’il ne puisse enfin se ressaisir. Se raclant la gorge, prenant un souffle ultime, gonflant le torse et posant sur ce malheureux pupitre ses mains osseuses, il pointa son nez énorme vers le centre de la salle et cria presque, pour masquer ce brouhaha persistant d’un auditoire, désormais chantonnant en cœur quelques rires méchants :

« Je vous remercie de m’avoir si chaleureusement accueilli. Je suis parmi vous en cet instant pour, parmi tant d’autres choses, vous parler de moi et de ce savoir que j’ai fais mien après moult tergiversations, après avoir hésité la moitié d’une vie à prendre enfin le chemin de vérité et l’autre moitié à concrétiser mon projet. Je suis un artiste du morbide. Voici le legs d’une longue vie à combattre mes candides impulsions, entre vos généreuses mains. Les confessions d’une interminable chevauchée dans les steppes d’une existence unique, dévoilées à votre valeureuse intelligence.

Chers collègues du morbidus institut, aimable assistance, vaillants nouveaux venus ; j’ai le grand plaisir d’entamer ce propos par vous présenter mon œuvre. Il ne s’agit là aucunement de prétentions philosophiques ou spirituelles. Le fruit de mon labeur n’est nullement art abscons estampillé de vérités latentes, c’est un pur suc de sens, matériel, vivant, palpable au plus haut point. Je travaille sur des matières vivantes aspirant au culte du morbide. Je réalise des sculptures d’enfants en bas âge, ou de jeunes adolescents pubères, sans verser dans l’attendrissement vain, sans jamais, à aucun moment, me soustraire à cette mission de désenclaver l’art pur. Celui de la mort. La mienne, la votre, l’éternelle.

Durant cette désuète vie que j’ai abandonnée sans repentir aucun, mes modèles étaient rarement repêchés dans des morgues avec le concours de certains artistes de vie corrompus. Ce moyen étant lâche par définition, je m’attelais souvent à trouver mes mannequins aux creux de sépultures profanées. Et quand d’aucuns commençaient à dénigrer ce procédé artistique, ignorant l’essence même de cet art, celui de cueillir l’éclat à l’autel de la décrépitude, en l’aliénant à quelques expressions religieuses infâmes, je me vis dans la contrainte, qui s’avéra d’ailleurs ô combien délicieuse, de créer moi-même l’objet de mon art, au lieu de le quémander à une quelconque providence.

Mes modèles étaient mes enfants de cœur, artisans du culte morbide, vouant à la mort cette dévotion que j’ai pour son art.

Je n’avais jamais réussi à admirer la lumière que dans le noir absolu. Je réalisais également des tableaux noirs, enluminés de sang séché et de détritus. Ici, je jubile dans cette félicité d’obscurité totale, et je me vois encore plus enchanté de la partager avec d’aussi valeureux compagnons que vous autres.

J’aimais par-delà tout le gout âpre du rance, aussi l’acte de créer se terminait souvent par un coup de langue lent, savourant chaque once de mes créations. Ici, nul besoin de déployer un quelconque muscle pour se délecter, le morbidus institut recèle de tant d’exquis relents acerbes embaumant l’air même que nous inhalons.

Admirez donc chers amis, par tous vos sens aiguisés, cette beauté qui nous entoure, cette déchéance qui nous ceint en sein, car le moment est enfin venu pour que vous participiez à notre plus grand projet, figer notre mort sur le tableau dédié à sa gloire.

Cher auditoire, pour ne point vous ennuyer davantage, je vais vous épargner le long récit de l’œuvre de ma vie ou de l’avènement de ma mort, peut être le ferais-je plus tard, mais je tiens à ce que vous vous remémorez cette image de moi-même : Un homme dévoué à l’entreprise ardue de figer la mort dans ses plus beaux apparts, à l’instant même où elle survient accompagnée de cette joie ultime des retrouvailles. Le sang est toujours chaud sur mes toiles…

Aussi, êtes-vous en cette fraction de seconde ici réunis, parce que le sang est toujours bouillant. Puissiez-vous garder cette ardeur, cette chaleur et cette joie incommensurable, durant toute votre longue et glorieuse mort.

Si je suis présent, en ce moment, devant ce pupitre, c’est aussi pour vous souhaiter au nom de notre chaire d’académiciens de l’illustre morbidus institut, la bienvenue parmi nous. Sachez également que c’est à votre serviteur qu’incombe la noble tache d’immortaliser l’instant de votre mort.

Mais pour commencer, vous demanderais-je de bien vouloir me rejoindre, un à un, afin de nous parler de vos morbide vie et glorieuse mort, puisse cette dernière prendre de pitié ceux qui n’ont pu nous rejoindre maintenant et les ramener tantôt parmi nous.»

Quand l’artiste du morbide finit son discours, un silence de morts se fit alors dans l’immense salle fermée à cette autre cohorte de nouveaux venus, s’entassant en file indienne devant l’énorme portail du morbidus institut.

Une fraction de seconde là-bas vaut l’éternité ici-haut.
Afin de jouir amplement de cette délicieuse mort, le morbidus institut a entamé l’ambitieux projet d’un tableau infini, retraçant à l’infini les vies et la mort de ceux qui la désirent.
Je suis l’humble historien chargé de raconter le plus grand événement de l’histoire des morts, figer l’instant de son étreinte sur une seule fresque retraçant à la fois la vie ingrate et cette autre généreuse mort.
Le morbidus institut a entamé l’ambitieux projet de ce tableau pour permettre à l’instant de mort de s’éterniser à l’instar de la mort elle-même.
D’une fraction de seconde là-haut nous ferons une éternité ici-bas (ou le contraire, ça dépendra de vos croyances !)

dimanche, octobre 25, 2009

De la valeur du travail et autres vétilles

Qu’elle est la valeur du travail ? En voilà une question qui m’a longtemps turlupinée.
Une question qui me fait me poser plein d’autres. Est-ce une valeur morale ou économique ? Monnayable ou purement métaphysique ? Serait-ce un concept à identité complexe ; reconnaissance sociale, épanouissement de soi, production matérielle ou incorporelle…rémunération, prémunition de la précarité?

De ce fait, je me suis longtemps baladée entre les humanistes, les marxistes, les capitalistes, et autres libéraux, tous gratifiant la question elle-même d’une aura philosophique haute en couleurs, confusions et contradictions de tous genres.

Je vous épargne les questions plates sur la relation entre valeur et nature du travail. Un travail cognitif aurait-il plus de ‘valeur’ qu’une besogne manuelle ? Encore faut-il définir cette valeur.

Finalement, un jour alors que j’étais entrain de croupir dans mon lit à cause d’une méchante grippe, j’ai eu subitement une illumination. Des magazines emplissant mes draps, du vin sur la commode - oui je sais, ce n’est pas très conseillé dans pareilles situations, du grignotage malsain, un abandon total et sans contraintes aucunes à toutes les envies d’errances spirituelles et spiritueuses, un pur moment de totale oisiveté, ponctuée par l’absence absolue de réflexions, surtout celles qui s’immiscent souvent dans ma vie sans vergogne…devais-je envoyer le mail à Machin hier ou aujourd’hui ? Il faut revérifier si le forecast du budget tient la route, je l’ai fait il y a un mois ? Oui mais je dois tout de même revérifier ! Et cet entretien avec Big-boss ? Dois-je le baratiner comme je fais d’habitude avec Manitou ?

Bref, de par mon état de santé se détériorant heure après heure et peut être aussi à cause de ce liquide si bon qui réchauffait langoureusement mon corps fébrile, j’étais incapable de me concentrer sur une seule idée qui tienne la route, et de ce fait j’avais complètement oublié toute notion d’utilité, de valeur de soi, d’existence sociale, de moral et autres vertus que je me serais plu à énumérer en état de totale sobriété, sirotant un café avec mon directeur des ressources humaines.

Seule persistait une idée fixe, ravageuse, téméraire ; « Il faut que je m’approvisionne, je n’ai pas de cash…le salaire serait-il passé ou pas encore ? », entre un somme, une rêverie, et l’infime instant de lucidité qui pouvait se profiler entre les deux, je me répétais cette seule phrase avec l’engouement que son résultat réveillait en moi !

« Ce fut comme une apparition ! »

J’aime cette phrase et j’en abuse, mais là n’est pas le sujet.

En effet, le fait que mon cerveau carburait à la seule envie de ‘provisions’, qu’il ne se remettait en état de fonctionnement que pour vérifier le bon fondement d’une rente qu’il avait déjà générée – étant donné que je suis plutôt dans le travail cognitif et que tout ce qui manuel je le garde pour des occasions de purs dévergondages. Tout cela me parut sur le champ comme une jolie découverte…telle cette belle Mme Arnoux sur un banc.

« Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. »

L’idée était là devant mes yeux ébahis pour la première fois alors qu’elle avait certainement vécue longtemps dans mon Ça, m’abreuvant de plaisirs de toutes sortes. .

Je suis une néo-mercantile d’un genre spécial, et le travail n’a aucune valeur si ce n’est assurer certains plaisirs devenus monnayables par les temps qui courent. En d’autres termes, j’aurais été Dionysos ou Aphrodite, le travail n’aurait même pas existé comme concept. Il doit toute sa valeur aux possibilités qu’il offre, combiné évidement avec d’autres vertus que la décence m’empêche d’évoquer. Pour les plus puritains, une explication, j’aurais été une laide nonne ou un vieux bossu, je n’en aurai pas eu besoin non plus.

Ici, une clarification s’impose, on ne peut faire du travail l’objet même de ce qu’il peut générer, du plaisir s’entend. Et donc le plus vieux métier du monde n’est en substance que l’anti-travail incarné. Le reste du monde, ceux qui vont philosopher sur la valorisation abstraite de toute forme de travail, générateur ou pas de profits, se leurrent ostensiblement.

Allez, je vous dois tout de même plus de clarté vue que moi-même commence à me perdre dans tout ce charabia. La valeur du travail, cher lecteur, se résume à trois choses essentielles de la vie : Un bon diner, du vin, et des capotes ! Tout ce dont la valeur ne s’apparente pas à cette définition est tout simplement « activité ».

La preuve, les gens riches passent leur temps à faire du sport, de la manucure, la fête et…des activités non lucratives !


PS : vous l’aurez compris…tout ce qui précède ne doit en aucun cas arriver devant les jolis (au cas où) yeux de Big-boss !
 
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