Il aurait suffit que le parti à référentiel islamique, le PJD, rafle 107 sièges aux élections législatives, se positionnant ainsi comme tenant les clés du futur gouvernement, que la paranoïa étende elle aussi son emprise et rafle encore plus de voix dans l’irrationnel ambiant.
Cette paranoïa s’inspire principalement de la culture très complexe des marocains, de leurs rapports à la religion d’un côté et de leur mode de vie quotidien assez détaché de cette même religion.
Il va sans dire que les marocains dans leur majorité écrasante sont conservateurs, mais plus culturellement que religieusement. La religion a une place prépondérante certes dans l’inconscient collectif, mais les préjugés sociétaux et potentiellement le joug de la société en général, portent plus et le plus souvent sur le comportement culturel que sur la pratique ou pas de la religion.
Pour apprécier ce fait, il suffit de se demander « Combien de pères réprimandent leurs filles pour le fait de délaisser la prière et combien le font quand elles portent une mini-jupe ? »
Culturellement aussi, et non religieusement, on condamne l’irréligieux : Consommer de l’alcool est toléré tant qu’on n’y expose pas l’autre d’une manière qui touche à ses convictions ou à ses propres libertés.
Cet état de fait constitue un consensus culturel et sociétal largement adopté par les marocains. Tant qu’on est culturellement en adéquation avec le groupe, la religion reste une affaire privée.
Qu’est ce qui change donc depuis l’accès du PJD au pouvoir ? On a peur que la composante religieuse prenne le dessus sur les consensus culturel et devienne ainsi plus contraignante vis-à-vis des libertés individuelles ? Peur légitime mais la peur ne justifie en aucun cas la paranoïa.
Un parti à référentiel islamique gouvernant le pays, ne change que peu ou prou la donne par rapport à un gouvernement Istiqlalien conservateur. Ajouter une petite dose, mais on se pose toujours la question « laquelle ? », de conservatisme religieux à celui culturel, est dans la progression naturelle de la société telle qu’elle a été façonnée depuis l’indépendance.
D’une part le religieux est instrumentalisé par l’état comme un facteur d’unité et surtout de légitimité de la monarchie qui, avouons le, reste très intelligente et habile sur ce domaine. Constitutionnellement, elle en a un jour pris le monopole et depuis ne le lâche pas.
Articles 41.
Le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect de l'Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes. Il préside le Conseil supérieur des Oulémas, chargé de l'étude des questions qu'Il lui soumet. Le Conseil est la seule instance habilitée à prononcer les consultations religieuses (Fatwas) officiellement agréées, sur les questions dont il est saisi et ce, sur la base des principes, préceptes et desseins tolérants de l'Islam. Les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement du Conseil sont fixées par dahir.
Le Roi exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l'institution d'Imarat Al Mouminine qui Lui sont conférées de manière exclusive par le présent article.
Et d’autre part les forces politiques progressistes se sont tellement effritées, que le progressisme culturel a disparu des agendas ; le combat est purement politique, voire électoral, depuis des décennies.
Il est donc naturel qu’on continue notre marche tranquille vers plus de conservatisme. Rien qui justifie la paranoïa !
Le PJD est-il une menace pour les libertés individuelle ?
Avant de répondre à cette question, il est de mise de s’en poser une autre, tout à fait différente : L’Islam, est-il religion ou une vie culturelle et sociale, ou l’agrégation des deux ?
Si on accepte que l’Islam est purement religion – culte, alors la question n’a même pas lieu de se poser. Le PJD n’y peut rien car le Roi en a le monopole. Là encore il y a beaucoup à dire, mais ce n’est pas le propos.
Si on adhère à la définition prédominante dans notre société qui veut que la religion est à la fois culte et organisation de la vie sociale, alors là c’est un autre raisonnement et surtout un autre débat. Celui de l’Espace Public !
Voici ce que nous dit la constitution :
Article 6 :
La loi est l'expression suprême de la volonté de la nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et tenus de s'y soumettre. Les pouvoirs publics œuvrent à la création des conditions permettant de généraliser l'effectivité de la liberté et de l'égalité des citoyennes et des citoyens, ainsi que de leur participation à la vie politique, économique, culturelle et sociale.
Les pouvoir publics, et donc les institutions de l’état, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, sont les garants de l’organisation de la vie culturelle et sociale, et agissent, dans le cadre de la loi, sur les libertés individuelles.
Cependant, L'autorité des pouvoirs publics, dans une démocratie (rappelons que le choix démocratique est suprême dans cette même constitution dont découlent les élections et le futur gouvernement PJD) ne peut exister que d’une manière relative. Elle s’arrête au commencement de la liberté individuelle.
Les libertés individuelles étant également relatives et opérant de la même manière, il est primordial de définir le point de commencement de tout débat, qui n’est autre que la ligne séparant Pouvoirs publics et Libertés individuelles. Les pouvoirs publics s’ils dépassent cette ligne de démarcation tomberont forcément dans la tyrannie.
Par où commencer ?
Aujourd’hui et plus que jamais, les marocains devront se pencher sur la question de libertés individuelles d’une manière sereine et tolérante. La tolérance dans sa définition inclusive d’écoute et de compréhension et non pas exclusive d’acceptation magnanime de l’autre jusqu’à ne plus pouvoir l’accepter.
Réinvestir l’espace public longtemps délaissé jusqu’à en devenir absent, est l’étape immédiate pour créer le débat et vaincre cette paranoïa ravageuse qui n’a de conséquence que l’affaiblissement du rationnel contre un émotionnel qui prend de plus en plus d’ampleur.
« Réinvestir » est peut être un terme trop généreux dans notre contexte, il est très probablement plus convenable de parler de « créer » l’espace public tel qu’introduit dans les sciences sociales par Habermas en 1962 : « le processus au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par l'autorité et la transforme en une sphère où la critique s'exerce contre le pouvoir de l'État. » L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962).
Critiquer le pouvoir de l’Etat c’est d’abord définir les prérogatives de celui-ci et s’assurer que la liberté de l’individu- citoyen, reste le facteur prédominant et fondamental de toute décision collective ou loi introduite par les pouvoirs publics.
Il est donc essentiel d’adopter une démarche participative, publique et rationnelle, se basant sur la délibération au sein de l’espace public pour se délester du poids de la paranoïa, de la peur irrationnelle, et avancer vers le choix démocratique.
Si on y arrive, on peut alors poser sereinement la question…
Le PJD est-il une menace pour les libertés individuelle - bis ?
Le PJD est l’aubaine, la chance inouïe qu’ont les marocains aujourd’hui pour repenser leur modèle de société et agir en conséquence. Si la marche vers le conservatisme bénéficie d’une accélération PJD, celle du progressisme, à reculons, peut au pire s’arrêter, au mieux avancer, droit devant cette fois, avec un nouveau souffle, un objectif clair et peut être bien une bien meilleure vitesse.
Mais ceci ne peut se faire que si les forces progressistes repositionnent le débat non plus sur un plan législatif, car on en est pas encore la, mais sur définition d’abord de la ligne de séparation entre autorité publique et libertés individuelles, pour clarifier ainsi les prérogatives du pouvoir exécutif, le gouvernement PJD en l’occurrence, dans la gestion de la vie sociale et culturelle.
Les progressistes doivent impérativement participer à créer cet « espace public » qui veut aujourd’hui émerger mais n’arrive pas à trouver forme ou base consensuelle de débat : Les uns veulent la dignité, d’autres la prospérité, et certains les libertés individuelles…on oublie que le tout est : Liberté !