Dans mon post « Associations féminines tunisiennes et élections – 1 » j’avais évoqué l’implication des associations féminines dans le monitoring des média pendant la compagne pour les élections constituantes en Tunisie. Cas intéressant pour plusieurs raisons, mais principalement, me concernant en tout cas, pour le fait qu’elles s’engagent dans une action citoyenne ne couvrant pas seulement la question du genre, mais s’étendant à une implication effective de la société civile dans des élections libres et transparentes, en commençant par la compagne elle-même. De la citoyenneté tout simplement.
Dans ce billet, il s’agirait d’un autre axe : le genre et les élections. Il est donc question de l’implication des femmes dans les élections constituantes et des revendications des féministes tunisiennes.
Il est d’abord intéressant de comprendre le background de ces revendications. Le point de départ ici est la loi électorale préparée par la Commission de la Réforme Politique en vue d’organiser des élections de l’assemblée constituante suite à la chute du Président / Dictateur Ben Ali.
Cette loi a prévu la candidature par listes en désignant les élus d’après le système proportionnel des listes avec le plus grand reste. Il est également établit que sur chaque liste il y alternance hommes femmes.
A noter ici, que sous le régime de dictature de Ben Ali, les sièges réservés aux femmes étaient de 25%. Cette nouvelle loi électorale ne prévoit pas de quota pour les femmes.
Il est vrai que cette loi avait suscité beaucoup de questionnements et de contestations, principalement sur l’alternance hommes femmes et sa légitimité légale, mais elle a tout de même fini par être adoptée et de ce fait constitue d’emblée une première réussite pour les féministes et un autre challenge pour de nouvelles revendications.
Dans ce contexte, L’ATFD (Association Tunisienne des Femmes Démocrates) a notamment soumis à l’ISIE (Instance Supérieure Indépendante pour les Election) un Mémorandum (Mémorandum de l’ATFD sur la participation des femmes au processus électoral) contenant des revendications et questionnements relatifs à la mise en pratique de la loi électorale.
Il s’agit principalement de remettre en question la représentativité « qualitative » des femmes dans les listes, au lieu de se limiter à une parité quantitative garantie, mais aussi de répondre aux détracteurs de cette parité. En l’occurrence ceux qui arguent « la discrimination sur la base du sexe » (point qui pourrait être valide si on considère la question de la compétence avec une vision globalisée dont le point de départ serait le militantisme au sein même du parti) pour réfuter la parité et l’alternance hommes femmes.
Le mémorandum évoque ainsi la question de légitimité de la parité en se basant sur les accords CEDAW auxquelles la Tunisie a adhéré, mais aussi pour aller plus loin, il revient sur des revendications claires quant à la mise en pratique.
En voici quelques exemples.
La liste est non exhaustive mais à mon sens reprend les revendications les plus intéressantes, vu qu’elles touchent directement le volet éducationnel et aussi culturel, plus que celui légal.
Le mot d’ordre de ce Mémorandum est « Adopter une approche thématique multidimensionnelle concernant la participation des femmes » ; dans le sens ou cette participation n’est pas réduite à la parité dans les listes mais doit être effective :
- Durant les phases préliminaires de l’inscription : prendre notamment en considération les difficultés des électrices liées à l’utilisation des cartes nationales, lieu de résidence, etc
- Durant la compagne et la mobilisation : L’ATFD appelle à une compagne civique où l’image de la femme ne doit pas être marginalisée par un quelconque stéréotype culturel, mais insiste également sur un réel engagement partisan à faire valoir une culture égalitaire au sein même des partis.
- Au niveau de l’administration électorale et mode du scrutin : présence effective des femmes dans l’administration électorale (là aussi on exhorte à adopter la parité) ainsi que le cas des analphabètes qui peuvent voter par délégation à un membre de la famille, ce qui constitue un risque de détournement de l’intention de vote, surtout pour les femmes.
Je trouve le cas tunisiens intéressant dans le sens où cette constituante ne prévoit pas des sièges réservés aux femmes comme il est d’usage au Maroc par exemple, mais instaure d’emblée une égalité des chances.
La mise en pratique et l’effectivité de cette égalité, commençant ici par la parité, nécessite certes plus d’engagement de la société civile et du citoyen, pour un changement radical de paradigme concernant la question féminine. Il n’est pas question ici d’adopter une discrimination positive à mon sens, même si certains pensent que les listes paritaires font d’emblée une discrimination préliminaire, mais il est surtout question de commencer par une chance égale, légalement (la loi électorale) et civiquement (la compagne et le combat de la société civile pour la culture de la diversité), pour aboutir à une élection réellement équitable, se basant sur la compétence de chacun, homme ou femme, et sa capacité à mobiliser les électeurs.
La diversité du genre ici prend son réel sens. Elle se fait dans l’inclusion et la préparation culturelle pour faire en sorte que la femme puisse démontrer par ses performances propres si elle est capable de gouverner, par une réelle présence sur le terrain en face des hommes, mais aussi et surtout en partenariat avec eux.
Les tunisiennes sont entrain de dire au monde : « ne nous donnez pas des sièges en offrandes, nous somme capables de nous faire élire, pourvu que le terrain est ouvert d’une manière égalitariste à tous ! »
Bon vent !