Ce qui suit est le texte de propositions auquel j'ai contribué, avec trois autres personnes, dans le cadre de notre participation aux auditions de la Commission Consultative de la Réforme de la Constitution.
Contribution citoyenne collective au débat sur la réforme constitutionnelle
Avril 2011
Nous avons été invités par la commission chargée de la révision de la constitution pour y donner notre avis.
En acceptant cette invitation, nous étions conscients de prime abord de nos limitations techniques et juridiques.
Si les instances qui ont fait leurs propositions à la dite commission (partis, syndicats, association, ONG…) disposent en leur sein des compétences capables de traduire des idées de fond par des recommandations directes sur le texte de la constitution, nous étions, nous autres, invités à titre intuiti-personae, en tant que jeunes citoyens.
Jeunes nous le sommes assurément, Jeunes plus pour longtemps, certainement.
Nous pensons notamment à d’autres jeunes, à travers le mouvement du #20fev, sans lesquels nous n’aurions certainement pas eu à écrire cette contribution.
Notre participation, dans ce cadre, ne se veut pas une savante contribution à cette commission (nous n’en avons ni la volonté, ni la compétence, encore moins la prétention), mais plutôt comme une expression des ambitions que nous nourrissons individuellement et collectivement pour le futur de notre pays.
Notre participation ne s’inscrit pas non plus dans une démarche de légitimisation de cette commission ni de sa décrédibilisation. Nous laissons aux acteurs politiques et associatifs le soin d’évaluer la méthodologie, d’y adhérer ou de la réfuter.
Notre participation se veut uniquement et exclusivement citoyenne, car nous pensons que la commission, en nous invitant, nous donne une occasion unique de nous exprimer en notre nom, âme et conscience, tout en espérant que d’autres partagent notre vision.
Ceci est un texte collaboratif et libre. Nous y mettons, à défaut de valeur ajoutée intellectuelle, une sincérité éthique.
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Ne pouvant pas aborder les détails techniques du texte, nous avons choisi d’élaborer les principes généraux que nous voulons pour le Maroc de demain. Des principes que nous appelons de nos vœux, puisque nous croyons aux institutions, nous croyons en l’État, nous croyons au Maroc.
Il y a dix ans, l’avènement du nouveau règne a nourri beaucoup d’espérances. L’émergence de nouveaux espaces de liberté et la naissance d’une véritable dynamique de changement à la tête de l’État nous ont poussé à croire en l’imminence d’un changement dans notre pays. Nous avons, chacun à son rythme, perdu confiance et assisté impuissants à l’essoufflement de cette dynamique.
La « transition démocratique » prenait fin pour céder la place à un système que nous pensions révolu.
De la Constitution actuelle
Toute personne s’étant penché un tant soit peu sur la constitution actuelle le concédera sans trop d’effort : d’abord, ce texte est largement perfectible, ensuite, certaines dispositions actuelles –plusieurs même- sont tout à fait compatibles avec la pratique démocratique.
Toutefois, la même personne reconnaîtra tout aussi bien que de larges pans de cette constitution, texte censé représenter la loi suprême du pays, se retrouvent en l’état d’un simple formalisme.
Les institutions, qui y sont retranscrites, sont régulièrement bafouées, ignorées et délestées de leurs prérogatives, y compris celles qui y sont explicitement mentionnées. Citons à titre d’exemple les ministres dits de souveraineté : une pratique établie alors même que le texte constitutionnel actuel prévoit une équipe gouvernementale nommée sur proposition du Premier ministre. D’un autre coté, certaines de ces institutions n’ont pas vu le jour, ou ont été créées très -trop- tardivement. Le Conseil Économique et Social en est la parfaite illustration.
La constitution actuelle est pour nous la preuve qu’une révision ou simple réécriture du texte suprême ne peut être une fin en soi. La révision constitutionnelle, si elle se limite à sa dimension technique, ne serait qu’un effort consenti en vain
La véritable réforme, que nous, signataires de ce texte, appelons de nos vœux, est une transmission de pouvoir vers l’essence même d’une nation : ses citoyens.
Du Maroc et et de ses Hommes
A l’aube de toute réforme politique, voire démocratique, la même question ressurgit : le peuple Marocain, dans le sens large, est-il suffisamment prêt à jouer pleinement son rôle de Citoyen ?
Le citoyen marocain est-il prêt pour la démocratie ?
Au-delà d’un chauvinisme béat, nous sommes obligés de le reconnaître, même si ça peut paraître élitiste, que la citoyenneté au Maroc souffre de nombreux maux.
En succombant à une forme de pragmatisme de facilité, nous serions tentés de prôner une gradualité et une progressivité vers une démocratisation à moyen, voire long terme. Les enjeux comme les risques d’un rythme accéléré étant trop grands pour être acceptés.
Cela étant dit, et avec tout autant de pragmatisme, ce discours a prouvé depuis l’indépendance que ce ce rythme graduel, au lieu de faciliter la transition, produit l’effet inverse et qu’au lieu d’une préparation du citoyen à ses responsabilités, on assistait à sa déresponsabilisation.
Personne ne peut arguer avec certitude de l’évolution des choses en cas de « démocratie subite ». Par contre, l’histoire de ce pays nous laisse clairement entrevoir le résultat d’une réforme transitionnelle, voire graduelle : contre-productive.
C’est pour cela qu’actuellement, nous prônons, non pas la transition, non pas la réforme, mais la rupture.
Des citoyens et de leurs droits
« Les droits et libertés des citoyens sont inaliénables.»
Nous nous référons par cette formulation aux traités internationaux et universels dont nombre sont signés, certains mêmes ratifiés par le Maroc.
Nous retenons par ailleurs, spécifiquement, la liberté de conscience des marocains dans son sens large et telle qu’universellement admis.
Nous notons aussi la liberté d’expression comme un principe suprême.
Du Roi et de la sacralité
Indépendamment de la terminologie : sacré ; inviolable ; respectable… Nous adhérons à ce que la personne du monarque ne peut être assimilée au « simple » citoyen.
En ce sens, il nous est tout à fait accessible de comprendre que le Roi, de par sa fonction constitutionnelle, soit au dessus des lois et ne peut faire l’objet d’aucune équation qu’elle soit politique ou juridique. Il est et demeure, dans ce sens, le représentant suprême de la nation.
Cette sacralité, est donc intimement liée à une forme d’exercice des pouvoirs institutionnels. L’exercice du pouvoir suppose la justesse comme l’erreur, le droit d’évaluation revenant aux citoyens à travers le suffrage universel.
Nous réitérons donc notre appel à une transmission de pouvoir qui à notre sens est le principal garant de la sacralité du Monarque, tout en préservant aux citoyens le droit d’arbitrer les actions de leurs dirigeants et les pouvoirs pour lesquels ils les ont eux-mêmes mandatés.
Du pouvoir spirituel
Par définition, la spiritualité relève de la sphère privée. La liberté de conscience comme signalée ci-dessus est une composante essentielle des libertés constitutionnelles dont devraient jouir chaque citoyen marocain.
Dans la dimension historique du Maroc comme pays à majorité musulmane, il nous semble établi que la personne du Roi dispose d’une autorité spirituelle liée à cette religion. Autorité tout à fait concevable de préserver.
Toutefois cette dimension spirituelle n’est à notre avis envisageable que si elle cesse d’être un pouvoir imposable aux citoyens mais devienne une adhésion de ceux qui s’en prévalent.
Aussi, aspirons-nous à une réforme qui mette concrètement les jalons d’un Maroc laïc de par sa pratique du spirituel, garantissant une liberté individuelle, inspirée du concept du libre arbitre.
De l’arbitrage royal
Par son caractère « supra-pouvoir », le roi est à même d’exercer un arbitrage entre les pouvoirs institutionnels prévus par la constitution. Il est tout à fait concevable qu’il demeure ainsi le garant de la stabilité de l‘architecture constitutionnelle à travers ses différents acteurs.
Toutefois, nous émettons le principe que cet arbitrage doit être motivé par un blocage institutionnel et que sa portée se limite à remettre aux mains des citoyens l’arbitrage ultime.
De la séparation des pouvoirs
Nous estimons que la séparation des pouvoirs devra être consacrée par la nouvelle architecture démocratique de la future constitution. L’esprit de la reforme doit veiller à ériger de véritables murailles de Chine entre ces différents pouvoirs et mettre en place les « portes communicantes » et « les sentinelles » qui veilleront à ce que la permissivité tolérée entre les différents pouvoirs serve exclusivement les besoins naturels de coordination. Cette séparation claire doit bien évidement être prolongée aux personnes endossant ces pouvoirs.
Du Pouvoir Exécutif
La sacralité du Roi, telle qu’annoncée ci-dessus, ne peut être en adéquation avec le concept de monarchie exécutive. Le pouvoir exécutif tel que nous le souhaitons est un pouvoir à mandat limité dans le temps et remis périodiquement en cause via le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et in-fine par les citoyens eux-mêmes. La fonction de monarque reste dans notre esprit, en tant que constante de la nation, antinomique avec l’exercice d’un quelconque pouvoir exécutif. Ce pouvoir est donc pleinement attribuable au Premier Ministre, qui lui-même tire sa légitimité du suffrage universel. Les modalités de cette légitimité relèvent des détails techniques, non moins importants.
Tout comme nous ne concevons pas l’existence de ministres de souveraineté, nous insistons aussi sur l’inclusion de la dimension sécuritaire dans les attributions du Pouvoir exécutif.
Du pouvoir Législatif
Dans la même veine de l’ensemble de ce texte, le choix technique entre bicaméralisme et chambre unique ne nous semble pas être la priorité.
Il existe de nombreuses démocraties dans le monde qui ont tranché d’un côté comme de l’autre sans pour autant que les principes démocratiques ne soient remis ne cause.
A la limite, nous considérons que le bicaméralisme, peut constituer, lorsqu’institué à bon escient, une sorte de contre pouvoir intéressant dans l’exercice du pouvoir législatif.
Toutefois, notre conception de la situation actuelle du bicaméralisme « à la marocaine » est que le bon fonctionnement démocratique n’a pas été la principale motivation de cette formule. Bien au contraire, il a servi à l‘affaiblissement du pouvoir législatif dans son ensemble, et ce quelque soit la majorité du moment.
L’esprit de toute réforme des institutions du pouvoir législatif devra veiller à ce que cet esprit de contrepouvoir sincère et efficace soit pris en compte.
Des Forces Armées Royales
Par sa fonction, le Roi du Maroc est le chef suprême des armées en conformité avec sa fonction.
Toutefois la gestion budgétaire, administrative, organisationnelle… relèvent du pouvoir exécutif, représenté - faut-il le préciser- par un ministre de la défense qui fait partie d’une équipe gouvernementale dirigée par le Premier Ministre. L’armée, même avec le monarque comme chef suprême, ne peut se soustraire au pouvoir du citoyen qu’elle est censée servir.
Du pouvoir judiciaire
Pierre angulaire de tout système démocratique, l’autonomie institutionnelle et financière du pouvoir judiciaire nous semble clairement comme un impératif de toute révision constitutionnelle.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature, dans ce sens, devra être le garant de cette autonomie, que nous voulons animer par un fort esprit corporatiste permettant aux magistrats de faire face à leurs responsabilités.
Car si actuellement au Maroc le pouvoir judiciaire en est un vis-à-vis des citoyens, il n’est pas considéré comme tel devant les autres pouvoirs.
Indépendamment de son organisation, l’essence même de l’existence du pouvoir judiciaire, est de garantir, in fine, au citoyen l’état de droits auquel il aspire. Le pouvoir judiciaire est à positionner dans ce sens comme un plein pouvoir, dans la mesure où il devrait assurer une protection concrète du citoyen.
Du Pouvoir Économique et Médiatique
Loin de nous l’idée de constitutionaliser une quelconque notion de pouvoir économique ou médiatique. Dans notre conception du Maroc moderne, l’économique est l’apanage des acteurs privés et le pouvoir médiatique est le contre pouvoir par excellence. Toutefois, ces « pouvoirs » doivent être régulés, règlementés et protégés des autres pouvoirs.
Il est utile d’avoir une architecture constitutionnelle qui garantit que ces pouvoirs servent les intérêts suprêmes de la nation.
Dans le domaine économique, un certain nombre de mécanismes existent : conseil de la concurrence, Instance de lutte contre la corruption, le CES, les régulateurs …… Il s’agit donc de doter ces instances des pouvoirs, des prérogatives, des moyens et de l’indépendance nécessaires pour qu’ils puissent fonctionner, agir, sévir et, in-fine, servir le citoyen
Dans le même esprit, nous pensons qu’il faille obligatoirement hisser le service public audiovisuel à un rang qui le rende imperméable aux tentations de récupérations politiques et économiques.
De la diversité
Nous sommes conscients de l’importance de l’émergence et de la consécration de la diversité dans sa définition globale : diversité des genres, diversité culturelle, diversité identitaire, etc. Dans tout processus démocratique et dans les bases même d’une société de droits, il nous semble primordial de préserver les acquis dans ce domaine et de les mener au niveau supérieur.
Cette diversité à laquelle nous aspirons, pour un Maroc riche de ses différentes composantes sociétales et identitaires, se traduirait par la mise en place de mécanismes culturels, éducationnels et juridiques garantissant les droits de la femme, conformément aux lois internationales en vigueur, et assurant leur totale inclusion dans les champs politiques et économiques.
Il est également de mise de protéger les minorités culturelles et ethniques ainsi que les personnes handicapées et de leur donner les moyens requis pour occuper une place conséquente dans la société marocaine, notamment par la promotion d’actions concrètes dans ce sens.
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Sans avoir le moins du monde la prétention d’avoir été exhaustifs ou pertinents, nous espérons que ces propos aient d’abord réussi leur mission de clarté et qu’ils expriment sans ambages l’esprit de notre contribution.
Nous rajoutons à nos espoirs (et ils sont nombreux), celui de voir votre commission aller au-delà des sentiers battus et du « déjà-vu ». Aussi technique soit-elle, nous pensons que cette commission peut, dans le cadre de l’objectif de fédération qui lui est dévolu, disposer d’une marge de manœuvre qui permettra de poser les jalons d’un Maroc Nouveau pour les générations futures.
Nous espérons que les livres d’histoire qui seront enseignés à d’autres générations, celles de nos futurs enfants, retraceront objectivement le travail de cette commission comme l’un des travaux majeurs d’après l’indépendance.