dimanche, mai 24, 2009

L'été

Il fait chaud dans cette voiture. Je suffoque du manque de fraicheur et ma tête aspire vers un brouillard moins étouffant.

J’avais pris la route en espérant oublier cette chaleur qui m’asphyxie tellement elle s’engrène dans chaque petite particule de l’air ambiant. Chaque objet m’entourant me nargue avec un sourire noir, les murs m’encerclent de leur étanchéité indifférente, et les cris de joie des enfants jouant dans la cours de l’immeuble se muent en un vacarme insoutenable.

J’ai besoin d’air.

Il continue à faire chaud dans cette voiture, combien même la vitesse atteinte donne le tournis, combien même l’air chaud et bruyant s’enlise effrontément par les quatre vitres ouvertes. L’air doux, discret, frais et délicieux me manque.

Il est midi. Un midi de désert sur cette route tertiaire reliant deux bourgades inconnues. Une route oubliée que j’ai empruntée par un pur hasard, pour découvrir qu’elle ressemblait tant à mon cerveau vide, valsant entre deux mondes méconnus. Le mien propre, celui que je reste seule à pouvoir effleurer, et celui des autres, auquel je reste étrangère. Une marginale dans un monde d’établis, une aliénée dans un monde de sages ou le contraire, je ne saurais dire.

Quand j’étais passée devant le premier village entamant cette route, j’avais ressenti l’excitation de celui qui se lance dans l’aventure, de celui qui s’en va errer sans but autre que découvrir l’inconnu. Un brin de fraicheur s’en était saisi de moi le temps d’une rêverie sournoise, le temps de dépasser quelques charrettes de fortune, quelques maisonnettes délabrée et un jardin meurtri par la chaleur.

Sur la route, nulle âme vivante, de loin en loin quelques paysages de cartes postales défilaient à grande vitesse devant mes yeux embrumés de rafales de vent, laissant une image diffuse dans ma mémoire, incessamment écrasée par les roues de ma voiture, jonchant l’asphalte brulant à grande vitesse.

Pas le temps de souffler, ni de faire avouer ce vent envahissant ses vertus de fraicheur. Il fait toujours aussi chaud, et je continue à suffoquer.

Ma vision et ma mémoire se confondent, et doucement mon esprit se libère, donne les règnes impétueusement à mon imagination prolixe. Que de mirages alors ! Que d’images, toutes aussi confuses les unes que les autres !

Des images de champs brûlés, des mirages de flaques d’eau inondant la route déserte. Un ciel bleu à l’horizon, et à l’horizon soudain l’océan.

Ma vision de plus en plus trouble, mon esprit de plus en plus léger, je me résigne à réduire la vitesse, me déconnecter de la réalité en réduisant les risques en quelque sorte, et flâner sur la route au lieu de la dévaler.

Et c’est seulement là que je découvre avec grand étonnement…que l’été est là. Il voulait annoncer son arrivée, s’imposait à cet air que je respirais, m’étouffait pour ensuite me libérer…
L’été est déjà là et je ne m’en suis pas rendue compte, car je roulais à grande vitesse.

lundi, mai 18, 2009

Andalusia



Oscar Lopez - Fire And Fury

Une soirée flamenco. Ambiance chaude. Sangria et belles danseuses. Guitare espagnole grattée de passion et de doigts espiègles.

On s’abandonne, on se donne.

Un large lit. Des draps blancs. Une chambre andalouse peinte en rouge. Les rideaux dansent au vent.

L’orchestre continue à jouer dans la cours.

Nous deux, dans cette chambre au premier étage, continuons à nous abandonner, nous donner.

Il appui son corps, hmm ce beau corps, sur un coude et me regarde. La flamme est toujours là. Un scintillement à la célérité de lumière, une fraction de seconde. On évite les regards longs, profonds. Nous n’en avons cure des regards, nos doigts se mêlent déjà, les jambes s’étreignent.

La music s’imprègne de la hardiesse ambiante. Le rythme s’accélère. Les mains tapent. Les cordes s’émeuvent au toucher des doigts. Les corps se lancent dans une dance effrénée, sur un sol chaud, dans un grand lit brulant.

‘Une variante ?’
‘A chaque nouveau tempo, un déhanchement différent, mais les pieds restent ancrés…sur le sol, dans les draps…’
‘Ecoute ! La guitare et la dance s’expriment désormais seuls’
‘Tes cris, des chants rauques…’

Je me relève, appui mon corps sur un coude et le regarde.

‘Oh Séville, que donnerais-je pour revenir encore une fois ?’
‘Tu y es déjà. Sa musique berce le rêve, ses danses rythment chaque réveil d’un soubresaut d’inspiration pour te noyer encore dans la contemplation.’
‘Trêve de mots, dansons !’

Fusion des sens et fustigation du temps qui passe. Il peine à couler, s’ennui de lui-même, se lasse de devoir avancer, toujours, encore, sans but.

Le temps, dans un dernier combat contre sa propre essence, cède, se fige, abdique à la chaleur humide, aux pas des danseuses, aux cris des guitares, aux exhortations de la foule, toute envie, que dis-je, tout devoir, de continuer son chemin.

La nuit se fait de plus en plus douce. Les rideaux, au vent, se livrent. Leurs corps enlacés, à la tiédeur de la nuit, abandonnés. Elle et lui, gisent désormais apaisés. Les doigts se recherchent, se retrouvent, s’entremêlent…

En bas, dans la cours, ça joue encore…


A Kamal G. ( pour l'inspiration... )

dimanche, mai 17, 2009

Chaussures...

« Nous nous sommes aimés, âmes et corps. Il est l’aboutissement d’une nuit d’amour et nous en eûmes tant. Tant d’amour que je veux faire fondre cette nuit de lumière blanche comme toutes les autres de mes cris de plaisir. Tant de plaisirs que je veux lui procurer celui d’une naissance dans la reconnaissance.
Serais-tu prêt à rendre public ce qui fut notre doux secret ? Voudrais-tu lui donner ton nom ?
Je regrette de te l’annoncer ainsi, mais notre enfant git en moi avec la peur de me quitter sans te retrouver. Je ferais en sorte de le lui épargner et de partager son sort…quel qu’il soit !
J’ai rendez-vous chez le gynéco pour avorter à 18h. Viens m’en empêcher.»

Elle glissa ce billet dans la poche de sa veste, mis ses chaussures du jour pas loin du lit, déposa un tendre baiser sur ses lèvres entrouvertes et partit, aérienne, trainant sa lourde valise.

Elle avait longuement admiré ses chaussures avant de s’en aller. Elle les aime ces chaussures visiblement, toutes, plus que tout autre objet lui appartenant, plus que toutes leurs photos ensembles. Ses chaussures lui rappellent les longues ballades en bord de mer, les courses improvisées pour atteindre un point fictif, ses pas appuyés, rassurants, quand il rentrait la rejoindre tout les soirs.

Elle s’en alla sans se retourner, franchit le pas de la maison avec sur les lèvres une prière secrète. Pourvu qu’il continuât à la rejoindre, toujours, mais surtout ce soir.

Elle ne savait trop quoi faire de sa journée. Son rendez-vous avec le gynéco lui parut être le commencement d’une autre vie qu’elle voudrait ajourner à jamais. Elle se décidât à vivre jusqu’au bout celle qu’elle tenait encore en main.

Dans sa rue encore déserte à cette heure de la journée, elle flânait sans savoir ou aller. Un tronc d’arbre se frotta inopinément à son bras droit et l’enlaça. Un vent léger vint ensuite déposer un baiser divin sur son cou nu, et quelques feuilles mortes, qu’elle piétina involontairement, commencèrent à gémir.

Ses pas la guidèrent vers le parc. Assise sur un banc bariolé de graffitis que les jeunes du quartier s’amusaient souvent à ébaucher ici et là, elle se complut à décrypter les messages d’amour codés, les invectives contre les autorités, les slogans de révoltés, un tas de lettres indéchiffrables…Comme ses souvenirs confus, comme ce rendez-vous incertain.

Ses pensées la torturèrent interminablement, la malmenèrent sans pitié aucune, et la menèrent sur des sentiers tantôt effrayants, tantôt emplis de joies éphémères. Elle craignait le pire et ne pouvait s’empêcher d’escompter le meilleur…lui au rendez-vous.

Le soleil commençait à décliner vers l’horizon qu’elle se rendit enfin compte du temps, de l’espace, d’elle, une présumée coupable attendant la sentence.

Il l’avait longtemps tenu loin de sa vie public, loin de sa famille et de ses amis. Lui l’illustre écrivain vivant avec une fille de joie, quel opprobre !
Jamais il ne voudrait reconnaitre leur enfant, jamais il n’oserait crier à la face du monde leur tendre vérité. Il a tant d’égards pour son métier et sa vocation qu’il ne prendrait le risque de paraitre dans une presse à scandale. Tant de réputation à protéger comme autant de vie privée à préserver.

Elle jeta un dernier coup d’œil sur quelques lettres restées insondables et se décidât à cheminer vers son destin.

Elle dut attendre une bonne demi-heure devant le cabinet du gynécologue. Perdue entre ses craintes et ses fantasmes, toisant les visages derrière le voile subtile de ses larmes.

18h !

Embouteillage !

18h15…

Il ne viendra pas.

Ses pas devenus subitement légers guidèrent sa volonté vers la dernière escale. Elle ne vivrait pas sans son enfant, et celui là jamais sans son père.

Un bruit strident retentit. Accident ! Comme toujours, des accidents, involontaires, capricieux coups du destin.

A quelques mètres de là ou elle se tenait raide depuis quelques longues minutes, un corps gisait étendu sur une chaussée se remplissant déjà de curieux passants.

Elle ne pouvait déceler de ce corps, définitivement inanimé, que le bout des chaussures, ses chaussures.

Il tenait dans ses mains une lettre.

Son cœur chavira et c’est là qu’elle reçut le premier coup de pieds de son enfant.

Atelier 'Ecrivons donc!'
26 Dec 2008

lundi, mai 11, 2009

Couleurs










Mohamed Melihi

Elle se mire devant sa glace depuis une bonne demi-heure. Le temps file. Elle risque de rater le transport du personnel, mais qu’à cela ne tienne, elle s’offrira le luxe d’un taxi.

Ces couleurs vives lui renvoient une image resplendissante qu’elle ne se connaissait pas. C’est beau, délicat, revivifiant même ! Ses doigts pianotent impétueusement sur ses pommettes fardées. Des caresses espiègles qu’elle s’octroie en renvoyant un large sourire à son propre reflet.

Non, décidément le rouge n’est pas le bon choix!

C’est pourtant sa couleur préférée. Elle aime à la contempler au coucher du soleil sous ses différents spectres. Elle se laisse souvent tenter par des roses rouges qu’elle met un effort particulier à soigner, nourrir, cajoler presque. Une véritable passion…

Un regard rapide sur sa paire de chaussures rouges qu’elle n’a jamais osé mettre…

Non, pas le rouge, trop criard !

Elle s’essaye alors au lilas. C’est doux, tendre à souhait. Cela fait même ressortir la délicatesse de sa peau diaphane. Cette image fine de son propre visage l’intrigue. Elle décèle dans son reflet une certaine faiblesse qu’elle ne veut point s’avouer...

Le vert alors ?

Comme ce printemps qui la nargue en l’invitant à sortir de son propre corps, voler, s’évader, s’évanouir dans la nature, s’épanouir…

Son regard ébloui, illuminé, embrassa rapidement les contours de cette chambre morose et s’assombri d’un coup.

L’orange ferait certainement ressortir ce qu’elle est le plus. Une belle jeune femme au cœur généreux, plein de grandeur. Une femme libre et équilibrée qui prône l’esprit et ses vertus au-delà des apparences et des préjugés…

L’horloge sonne déjà huit heures. Elle se revoit en rouge, lilas, vert, orange…que de belles couleurs, tout ce qu’elle aurait voulu et qu’elle peine tant à obtenir.

Elle se dénude les cheveux, les fais couler sur ses épaules tels une cascade de jade.

Un dernier soupir avant de se voiler de noir. Pas une mèche n’y échappe, pas une once de chaire, si ce n’est un visage pâle et des mains hésitantes.

Ses jambes la guidèrent alors, impétueusement, loin de cette image enluminée qui continue à la hanter…

 
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