Une porte infranchissable me fait face, obturée avec des cadenas rouillés, restés déverrouillés depuis un lustre.
Quand je m’apprêtais à quitter cette maison, seule l’envie de fuir était de rigueur. Je n’avais ni souvenirs à regretter, ni meubles à emporter. Je désirais seulement quitter au plus vite les lieux.
Aujourd’hui en trainant les pieds devant ces ruines du passé, une seule image me turlupine, la photo de famille restée accrochée sur le mur, seule dans un fouillis de meubles délabrés et quelques verres brisés. Abandonnée avec préméditation, elle s’est longtemps vengée en m’affligeant les pires cauchemars.
Je n’ose décadenasser la porte. Je déambule pendant de longues minutes dans le quartier baigné de lumière blafarde, en me remémorant les moindres détails de cette fantomatique image de mon passé. La photo de famille.
Grand-père
Il avait fait toutes les guerres de son temps. Il m’a obligé à mener celles du mien. Un homme doux, attentif, gai et fichtrement drôle, surtout quand il s’amusait à enlever sa dentition pour caricaturier un à un ses vieux compagnons, venus le consoler de son immobile solitude dans un fauteuil roulant. Il se voulait taquins, mais se montrait parfois cruel. Il devait oublier que ses dents à lui n’étaient qu’artifice.
Je l’aimais. Un jour on le découvrit gisant au bas de l’escalier. Son fauteuil brisé, sa nuque brisée. Mon premier amour en mille pièces.
Il n’approchait jamais les escaliers. Il en avait une peur bleue, conscient qu’une minuscule erreur de manipulation pouvait causer sa mort.
Je ne l’ai jamais pleuré. Je n’aime pas les suicidés.
Tante crétine
Une dame un peu fofolle, sans âge, héritage de je ne sais plus quel lien familiale enseveli. On disait qu’elle était mariée à un oncle éloigné du mari d’une tente, mais jamais je ne puis déceler notre véritable filiation. Elle était bête, crétine même, et on s’amusait à en faire notre objet de raillerie quand elle n’était pas simplement un objet du décor.
Je lui étais indifférente. Un jour elle parti, errante à son habitude dans les grands boulevards de la ville. Elle ne revint pas, quand deux jours après on la retrouva morte, de froid m’avait-on raconté, dans une rue suspecte.
Les méchantes langues racontaient qu’elle s’était tout simplement jetée dans les bras d’un quelconque malotru avant de périr de froid.
Je l’ai vite oublié. Elle connaissait le chemin du retour, même après une crasseuse caresse d’un goujat. Je n’aime pas les suicidés.
Père
Il avait le vice dans le sang. Son sang était vin, ses poumons une décharges où des herbes diverses enfumaient jusqu’à son regard absent. Il aimait de surcroit les prostituées. Les bars, les filles, les maisons clauses, le vin, quelques membres cassés de loin en loin à cette boule de chair lui faisant office de légitime femme et les bars encore.
Sa vie était vaine, son présent et future de pures vétilles.
Je ne l’aimais guère. On l’avait retrouvé pendu dans sa chambre. Je n’ai jamais cherché à comprendre, même pas à savoir. D’ailleurs je n’aime point les suicidés.
Mère
Une boule de chair informe. Elle était pourtant pleine de charité et de gentillesse envers tous, expiant à elle seule les péchés innombrables de son infâme entourage.
Quand elle ne passait pas sa journée à pleurer, elle s’entourait de ses enfants comme une chatte, les cajolant, les caressant, les léchant presque.
C’était pathétique, mais je l’aimais. J’aimais ses excès de folie maternelle que je trouvais attendrissant. Je la plaignais d’être venue au monde pour souffrir les maux des autres, continuer à essayer de leur insuffler la vie, la mort à l’âme.
Un jour, alors qu’elle avait retrouvé un semblant de sérénité après le suicide de père, elle se rempli la bouche de poudre insecticide et arrêta de respirer.
J’avais déversé deux larmes de joies à sa mort. La délivrance d’une personne que j’aimais désormais un peu moins vue que j’ai toujours détesté les suicidés.
Frère
Il avait dix ans quand je dus le prendre en charge. Je l’avais élevé tant bien que mal, avec les moyens de chaque jour. Il fit des études, grandi, ne s’épanoui jamais.
Lui, avait vraiment le mal de vivre. Je n’avais aucun doute sur sa fin, tant et si bien que lorsqu’il se jeta de la fenêtre en se fracassant la tête, je n’éprouvai qu’une satisfaction d’une prédiction réalisée.
Mes sentiments restaient mitigés, entre tristesse subite et regret. Je fini par basculer dans un soulagement profond imprégné d’indifférence salvatrice.
A quoi bon des larmes et des regrets. Il a fait un choix que je n’approuve pas. Je n’assume point sa décision et je m’obstine à ne pas aimer les suicidés.
Moi
Je n’étais pas sur la photo. C’est moi qui l’ais prise. D’ailleurs je ne voulais pas être immortalisée en photo de famille avec des suicidés.
Mes souvenirs tiraillés, je revins sur mes pas. Cette fois nulle hésitation ! J’ouvre les cadenas rouillés, pousse la lourde porte, prend une bouffée d’air frais et arrête de respirer le temps de traverser le vestibule, décrocher la photo entourée de toiles d’araignées, rebrousser chemin vers la lumière du jour contrastant effroyablement avec ce gouffre brumeux qu’était jadis ma maison.
Une fois les portes du passé refermés, cadenassés de nouveau, je me mire quelques instants encore devant cette photo. Je tenais tant à la récupérer qu’au bout de cinq ans je me suis enfin résignée à revenir la chercher. Je ne pouvais plus laisser la photo de Minou dans cette maison de suicidés.
Mon pauvre chat avait eu la très mauvaise idée de se dandiner devant le décor au moment même ou j’appuyais sur le déclencheur…
Quand je m’apprêtais à quitter cette maison, seule l’envie de fuir était de rigueur. Je n’avais ni souvenirs à regretter, ni meubles à emporter. Je désirais seulement quitter au plus vite les lieux.
Aujourd’hui en trainant les pieds devant ces ruines du passé, une seule image me turlupine, la photo de famille restée accrochée sur le mur, seule dans un fouillis de meubles délabrés et quelques verres brisés. Abandonnée avec préméditation, elle s’est longtemps vengée en m’affligeant les pires cauchemars.
Je n’ose décadenasser la porte. Je déambule pendant de longues minutes dans le quartier baigné de lumière blafarde, en me remémorant les moindres détails de cette fantomatique image de mon passé. La photo de famille.
Grand-père
Il avait fait toutes les guerres de son temps. Il m’a obligé à mener celles du mien. Un homme doux, attentif, gai et fichtrement drôle, surtout quand il s’amusait à enlever sa dentition pour caricaturier un à un ses vieux compagnons, venus le consoler de son immobile solitude dans un fauteuil roulant. Il se voulait taquins, mais se montrait parfois cruel. Il devait oublier que ses dents à lui n’étaient qu’artifice.
Je l’aimais. Un jour on le découvrit gisant au bas de l’escalier. Son fauteuil brisé, sa nuque brisée. Mon premier amour en mille pièces.
Il n’approchait jamais les escaliers. Il en avait une peur bleue, conscient qu’une minuscule erreur de manipulation pouvait causer sa mort.
Je ne l’ai jamais pleuré. Je n’aime pas les suicidés.
Tante crétine
Une dame un peu fofolle, sans âge, héritage de je ne sais plus quel lien familiale enseveli. On disait qu’elle était mariée à un oncle éloigné du mari d’une tente, mais jamais je ne puis déceler notre véritable filiation. Elle était bête, crétine même, et on s’amusait à en faire notre objet de raillerie quand elle n’était pas simplement un objet du décor.
Je lui étais indifférente. Un jour elle parti, errante à son habitude dans les grands boulevards de la ville. Elle ne revint pas, quand deux jours après on la retrouva morte, de froid m’avait-on raconté, dans une rue suspecte.
Les méchantes langues racontaient qu’elle s’était tout simplement jetée dans les bras d’un quelconque malotru avant de périr de froid.
Je l’ai vite oublié. Elle connaissait le chemin du retour, même après une crasseuse caresse d’un goujat. Je n’aime pas les suicidés.
Père
Il avait le vice dans le sang. Son sang était vin, ses poumons une décharges où des herbes diverses enfumaient jusqu’à son regard absent. Il aimait de surcroit les prostituées. Les bars, les filles, les maisons clauses, le vin, quelques membres cassés de loin en loin à cette boule de chair lui faisant office de légitime femme et les bars encore.
Sa vie était vaine, son présent et future de pures vétilles.
Je ne l’aimais guère. On l’avait retrouvé pendu dans sa chambre. Je n’ai jamais cherché à comprendre, même pas à savoir. D’ailleurs je n’aime point les suicidés.
Mère
Une boule de chair informe. Elle était pourtant pleine de charité et de gentillesse envers tous, expiant à elle seule les péchés innombrables de son infâme entourage.
Quand elle ne passait pas sa journée à pleurer, elle s’entourait de ses enfants comme une chatte, les cajolant, les caressant, les léchant presque.
C’était pathétique, mais je l’aimais. J’aimais ses excès de folie maternelle que je trouvais attendrissant. Je la plaignais d’être venue au monde pour souffrir les maux des autres, continuer à essayer de leur insuffler la vie, la mort à l’âme.
Un jour, alors qu’elle avait retrouvé un semblant de sérénité après le suicide de père, elle se rempli la bouche de poudre insecticide et arrêta de respirer.
J’avais déversé deux larmes de joies à sa mort. La délivrance d’une personne que j’aimais désormais un peu moins vue que j’ai toujours détesté les suicidés.
Frère
Il avait dix ans quand je dus le prendre en charge. Je l’avais élevé tant bien que mal, avec les moyens de chaque jour. Il fit des études, grandi, ne s’épanoui jamais.
Lui, avait vraiment le mal de vivre. Je n’avais aucun doute sur sa fin, tant et si bien que lorsqu’il se jeta de la fenêtre en se fracassant la tête, je n’éprouvai qu’une satisfaction d’une prédiction réalisée.
Mes sentiments restaient mitigés, entre tristesse subite et regret. Je fini par basculer dans un soulagement profond imprégné d’indifférence salvatrice.
A quoi bon des larmes et des regrets. Il a fait un choix que je n’approuve pas. Je n’assume point sa décision et je m’obstine à ne pas aimer les suicidés.
Moi
Je n’étais pas sur la photo. C’est moi qui l’ais prise. D’ailleurs je ne voulais pas être immortalisée en photo de famille avec des suicidés.
Mes souvenirs tiraillés, je revins sur mes pas. Cette fois nulle hésitation ! J’ouvre les cadenas rouillés, pousse la lourde porte, prend une bouffée d’air frais et arrête de respirer le temps de traverser le vestibule, décrocher la photo entourée de toiles d’araignées, rebrousser chemin vers la lumière du jour contrastant effroyablement avec ce gouffre brumeux qu’était jadis ma maison.
Une fois les portes du passé refermés, cadenassés de nouveau, je me mire quelques instants encore devant cette photo. Je tenais tant à la récupérer qu’au bout de cinq ans je me suis enfin résignée à revenir la chercher. Je ne pouvais plus laisser la photo de Minou dans cette maison de suicidés.
Mon pauvre chat avait eu la très mauvaise idée de se dandiner devant le décor au moment même ou j’appuyais sur le déclencheur…