Goutte d’eau qui tombe et se perd dans la mer,
Grain de poussière qui se fond dans la terre.
Que signifie notre passage en ce monde ?
Un vil insecte a paru, puis disparu.
Omar Khayyam
L’homme tirait son chien et courrait plus vite que son ombre, et son ombre suivait celle là du chien. Il parlait comme un aliéné, fiévreux, maladroit, possédé comme par une sombre lueur de folie soudaine.
Quand il franchit les portes de la médina, les ombres de ses étroites ruelles s’abattirent sur lui et il en devint coi le temps d’un souffle, puis s’élança encore dans sa course déchaînée. A son passage, les femmes et les enfants s’esclaffaient de rire alors que les vendeurs ambulants écartaient précipitamment leurs charrettes et huaient bruyamment leurs bourriques. Ils l’attendaient, avaient prévu son passage et s’y étaient préparés.
Un jet d’eau d’une fenêtre à l’ombre d’un moucharabieh. Il s’arrêta, jura et menaça puis repris son chemin.
Je demandais alors à une passante qui était cet homme étrange.
Elle me répondait que c’était Brahim le fou. Il courrait chaque jour dans la médina, laissant derrière lui le rire des uns, la stupéfaction des autres. Un mélange de sentiments. Le désarroi, la crédulité, l’angoisse, l’amusement, la pitié, la tendresse, la méfiance, l’ironie…
Je me lançais à sa poursuite sans même laisser la passante terminer sa phrase. C’est lui. Le marchant de contradictions qui jadis peuplait mes rêves !
Haletante je pus enfin l’atteindre, l’arrêter le temps de lui poser une question et d’écouter sa réponse.
- Dites moi ! Qu’est ce la vie ? Qu’est ce la mort ?
- La vie c’est vouloir posséder la vie. Aller de l’avant. Oublier le temps passé, celui des amours, des amis, des rires et des pleures. Partir au loin pour se chercher, se retrouver ou ne retrouver que son ombre, une histoire de ce qu’on aurait pu être, de ce qu’on ne sera jamais.
Courir plus vite que l’ombre de son chien. Déferler le temps, défier la tempête. Prendre dans une seule poignée de main toute l’eau limpide de la source et laisser mourir les poissons, faner les roses, effacer la mémoire.
Demeurer silencieux. Errer dans l’obscurité des idées, voir une lumière et l’égarer. Mourir, renaître, d’ombre et de lumière.
La mort ? C’est un coucher du soleil.
Il est beau le coucher du soleil, triste est beau, mais le lever est une réincarnation !
Il prononça le dernier mot en regardant le crépuscule rapide d’Afrique s’abattre sur la ville et il courut…