Philippe fut nommé ainsi en hommage au roi de France Philippe Le Bel, non pas qu’il fut d’une quelconque beauté mais pour la déconcertante raison que son propriétaire M. U. se disait un des derniers descendants du fameux roi de marbre.
D’ailleurs M. U aimait à se pavaner en ramenant ses amis, en visite à Avignon, en péniche à la tour de Philippe le Bel sur l’autre rive du Rhône, jusqu’au jour fatidique où un ami lui posa une question saugrenue : « Mais dites donc cher ami, vous seriez donc un des Capétiens maudits par Jacques de Molay jusqu’à la treizième génération ? », tous éclatèrent de rire, sauf le pauvre M. U. qui ne savait que nenni concernant les Capétiens et cette histoire de Jacque Molay, mais que le chiffre 13 ébranlât jusqu’aux plus éloignés recoins de sa conscience.
M. U. décida dès ce jour là d’adopter un chat noir et de le nommer Philippe le Bel, à l’effigie de son ancêtre damné, pour conjurer la malédiction.
Philippe le chat n’avait rien d’exceptionnel. Il était banal et passait inaperçu dans la majorité des cas, même si son maître s’évertuait à lui mettre les plus jolis colliers de chats qu’on aurait pu façonner pour un cou aussi maigre.
Philippe mangeait énormément, ou plutôt le forçait-on à manger pour afficher une bonne santé et cette bourse bien remplie de son maître extravaguant. Rien à y faire. On aurait dit que Philippe était d’une race qui arborait fièrement ses origines de chats miteux et chétifs jusqu’à les emporter dans la tombe.
Philippe était pourtant de bonnes mœurs, il savait se comporter en public, marchait en se dandinant de son petit corps de chat anémique et miaulait d’une voix douce et chatoyante sans jamais sortir les griffes que pour se gratter le derrière. Philippe fût un chat modèle. Pas beau, même un peu laid, quoiqu’on se raille à l’appeler le Bel devant son candide de maître, mais attendrissant et reposant car inaperçu. Durant les longues journées dans la riche demeure de M. U. le quotidien de Philippe était plutôt morne et sans grandes histoires si ce n’est cet amour fou et désespéré d’une jolie birmane, aux longs poils blancs comme la neige, appartenant aux voisins. Amour qu’il porta en secret dans la solitude de sa conscience jusqu’aux derniers jours de sa septième vie…
Philippe souffrait déjà de l’insupportable idée de ne jamais pouvoir atteindre sa belle depuis quelques mois déjà quand un autre prétendant, un extraordinaire highland fold qui brisait à souhait les cœurs les plus enhardis, commençât à roder autour d’elle.
Philippe était au désespoir le plus sombre. Son idylle devenait de jour en jour une stérile rêverie solitaire qui envahissait son cœur d’un vent de Sibérie et arrachait en passant même les tendres moments de désespérance amoureuse. Il se fanait encore plus, même si on ne pouvait imaginer état plus avarié que le sien dans des circonstances normales, et même sa voix, la seule bonté divine apparente chez le pauvre le Bel, devenait faible, presque inaudible.
Le salut vint alors comme une deuxième vie, sachant que Philippe le chat en a sept à épuiser dans cette longue et dure existence terrestre. M. U. dut effectuer un voyage au pays du soleil pour assister au mariage de sa cousine qui allait épouser un riche héritier, mais ô combien grotesque, arabe!
Le voyage fût sans surprises, une traversée Sete-Tanger des plus banales, mais quand Philippe posa son pied sur cette terre chaude et inondée de soleil il eut l’impression qu’il allait vivre la plus intrépide de ses vies…